COMMENT S’EST NOUÉE LA TRAGÉDIE DU TRAIN DE LA MORT?

 

- VOICI, POUR LA POSTERITE, LA MEMOIRE, ET POUR DES BESOINS D'ENQUETES JUDICIAIRES, LE TEMOIGNAGE D'UN DES PASSAGERS.

Le train Camrail Inter City 152 du Vendredi 21 octobre 2016 n’est jamais arrivé à destination. 
Revenant d’une mission à Yaoundé, j’étais dans le compartiment 1342 de cet appareil qui a endeuillé le Cameroun.

Ce témoignage, c’est mon devoir de rendre compte, pour les enquêtes, pour la mémoire collective et la postérité .

ACTE I

Vendredi 21 octobre 2016. Mon réveil sonne à 4 h 30. Je sors de mon sommeil mais constate qu’une énorme pluie s’abat sur Yaoundé. J’abandonne l’idée d’aller emprunter le bus de 5 h 30 pour Douala. Je décide d’aller par la suite emprunter le bus de 7 heures... A peine est-il sorti de l’agence, ce bus, que je reçois par le biais d’un réseau Whatsap, les images de la route coupée entre Yaoundé et Douala, à 68 km de la capitale camerounaise, dans l’arrondissement de Matomb. Il est 7 h 59. Je quitte mon siège et vais m’adresser au chauffeur du bus lorsque nous sommes au niveau de l’échangeur simplifié d’Ahala. Celui-ci va immobiliser le bus à la station service située devant. La hiérarchie du chauffeur contactée, elle lui autorise de faire demi-tour. Le bus est de retour en agence à 8 h 25 mn, et nous sommes remboursés sur présentation de nos tickets de transport.

ACTE II

Une cinquantaine de minutes plus tard, je suis à la gare ferroviaire de Yaoundé. Phénomène jamais vu ici de mes yeux de reporter ou de voyageur : certains constituent un rang serré sur plusieurs centaines de mètres, d’autres se bousculent pour passer par un trou de souris. Bref, une foule innombrable est à la gare de Yaoundé Elig-Essono. Venant de Mvog-Ada, j’intègre le rang opposé à celui qui s’étire sur plusieurs centaines de mètres vers Elig-Essono. La bataille pour passer le trou de souris dure environ une heure . A l’intérieur de la gare, la foule est plus compacte qu’à l’extérieur. Ça bouscule de tous les côtés. Une femme enceinte menace de perdre sa grossesse. Une hôtesse est interpellée qui vient prendre sa pièce d’identité pour lui vendre un titre de transport, alors qu’elle reste assise le long du mur, dans une foule qui lui marche sur les pieds.

Je parviens à acheter un ticket de première classe, en constant que le prix est passé de 6000 à 4500 francs Cfa. « les billets de 3000 sont terminés ! » rétorque la vendeuse à ceux qui en demandent. Ici, il n’y a plus de différence entre le guichet et la salle d’embarquement. La foule est devenue une masse trop compacte. Je me bats comme bien d’autres pour sortir de ce piège, quand une policière isolée par des garde-fous demande d’aller contourner à l’extérieur, pour accéder au quai. Il faut ressortir par le trou de souris de tout à l’heure. On s’en sort, certains avec les vêtements déchirés, d’autres avec des égratignures ou des entorses.

Une fois à l’extérieur, face à la gare, un portail s’ouvre et se referme à maintes reprises sur ma gauche. C’est là où la policière a demandé qu’on aille passer. A ce portail, une policière portant pour épaulettes des étoiles en argent. Elle laisse passer des personnes qui lui ont parlé en une langue camerounaise. Elle referme violemment. A nous qui lui rapportons que sa collègue de l’intérieur nous a demandés de passer par ce portail pour accéder au quai, elle réplique : « ici, c’est le passage du personnel Camrail ! » Lorsqu’elle rouvre pour laisser passer une autre personne, j’insiste et m’entends dire : « Monsieur, si vous insistez, je vais vous bousculer ! » Et elle ajoute : « Laissez moi tranquille, moi, je veux monter Officier ! » C’est alors que je me replis dans la cour de la gare.

ACTE III

Traînant mes deux sacs dans la cour de la gare, j’aperçois un Monsieur en costume sortir du côté administratif du bâtiment. Il lance en direction de quelqu’un dans la foule : « DP, DP, DP… ! » Quand le DP émerge de la foule, je reconnais mon confrère Parfait Siki qui progresse vers le Monsieur. Je me rapproche des deux personnes : « Je ne peux pas aller là-bas. Parce que si j’interviens là-bas et qu’il se passe quelque chose après, on me demandera pourquoi j’étais intervenu », s’exprime le Monsieur.

Le train parti de Douala à 6 heures étant déjà en gare à Yaoundé, je réintègre la foule qui progresse vers le trou de souris qui tient lieu d’accès au guichet et à la salle d’embarquement. Bousculé, piétiné, pressé, je réussis à accéder à la salle supérieure de la gare, également bondée de monde. C’est par là que je traverse pour descendre par un passage abrupte fait d’escalier de fer, et me retrouver sur le quai. Habitué de ce quai et de ce train, je repère très vite la voiture 1342 où je dois occuper le siège N°16 côté fenêtre.

ACTE IV

Cette photo est faite peu avant la fermeture des portières

Une fois à l’intérieur du train, j’éprouve le besoin de faire des photos et des vidéos de ce qui se passe à l’extérieur. J’hésite, me souvenant avoir été interpellé une fois ici par la police ferroviaire en mars 2014 alors que je tournais avec des partenaires un film qui m’a permis d’en savoir plus sur le chemin de fer camerounais et les rapports compliqués entre Camrail et l’Etat du Cameroun. Titre du film : « Un billet de train pour le Cameroun » ( https://www.youtube.com/watch?v=QM7... ). Mais je ne peux résister à la tentation. Je sors mon « arme » et « dégaine », d’où l’image de quai et d’embarquement ci-dessus, postée de l’intérieur du train pour la première fois à 10 h 48 dans le réseau qui m’avait informé de la rupture du trafic sur la Nationale N°3 qui relie Yaoundé à Douala. Et je mets comme légende à cette photo : « la meilleure solution. »

Le Train 152 Yaoundé – Douala de ce vendredi 21 octobre 2016, sort finalement de gare à 11 h 06 mn, avec environ 45 minutes de retard. Je contacte par téléphone le vice président de l’Association des journalistes sportifs du Cameroun (AJSC) dont je suis membre à 11 h 10 mn (référence : mon listing d’appel téléphonique). Je lui dis que je suis dans le train pour Douala et lui signifie que nous étions au dernier jour (21 octobre, délai imparti), et que la Confédération Africaine de Football (CAF) n’avait pas réagi à ma demande d’accréditation pour couvrir la prochaine Coupe d’Afrique des nations féminine de football qui se joue au Cameroun dans quelques jours : « Comme votre train a pris du retard, ne vous en faites pas, il va rattraper le temps perdu … », me lance dans l’humour qu’on lui connaît mon aîné et confrère Fouda Atangana. Et moi de lui répondre : « Non, le vieux, je préfère qu’il aille doucement, l’essentiel c’est que nous arrivions à Douala ! » Puis, le sommeil s’empare de moi à la sortie de Yaoundé, aussi facilement, fragilisé que je suis, par le réveil trop matinal (4h30) et les bousculades subies à la gare.

Je suis finalement, et brusquement tiré du sommeil par les bruits de la percée du train dans le premier tunnel en venant de Yaoundé. Je ressens aussi une odeur abondante de souffre, due au contact du train et du rail. Une abondante fumée de gasoil parcourt aussi le compartiment 1342. Je regarde à l’extérieur, je constate du point de vu d’habitué de la ligne que le train va trop vite. Il perce ensuite dans une vitesse de plus en plus accélérée le deuxième tunnel, en amont de la falaise du village de Ndjock que je connais très bien pour y avoir fait des repérages et contribué au tournage des scènes du film « Un billet de train pour le Cameroun (ARTE et SWR) » .

ACTE V

Le train était surchargé et des passagers étaient non enregistrés

C’est dans cette course folle que nous traversons le premier et long viadic, à quelque 200 mètres au-dessus du sol. C’est idem pour le deuxième viaduc, à l’entrée d’Eséka. Et du même coup, le compartiment 1342 commence à basculer à gauche et à droite. Ça va trop vite, trop vite même. Nous sommes au bout d’un tiers du parcours, quand je réalise que l’engin aurait perdu ses systèmes de freinage avant de ravaler les tunnels, la falaise et les viaducs à une vitesse vertigineuse… Il est environ 12h40. Nous échouons à la gare d’Eséka. Le bilan est catastrophique, en vies humaines comme en biens matériels, dois-je me rendre compte après être sorti de ce qui reste du train. Car des voitures bondés de monde se sont détachés et sont tombés dans un ravin à un demi-kilomètre de là où nous avons échoué. D’autres compartiments derrière et devant le nôtre, se sont renversés. Je n’aperçois pas la locomotive.

Il est 13 h 11 (cf. mon historique d’appel téléphonique), quand je rappelle le vice-président de l’AJSC. Il décroche et déclare à mon grand étonnement : « le train a déraillé ! ». Comment a-t-il pu être si rapidement informé ? En fait, des rumeurs ont annoncé dans les réseaux quelques heures plus tôt que ce train avait déraillé. Simple coïncidence ou résultat d’un sabotage ? Un survivant comme moi s’exprime ainsi dans le feu de l’action : « On a empaqueté les gens dans le train comme si c’était du bétail, parce qu’on veut faire de l’argent. Et maintenant voilà ce qui arrive, on perd des familles, on perd tout. » En effet, l’heureux train Intercity entré en service en mars 2014, est subitement devenu le train de la mort : « C’est sûr, on était dans le train. Le train a perdu les freins. Soit il n’y pas eu entretien, soit il n’y a eu surcharge. Moi je pense que c’est de la responsabilité de Camrail », enrage le survivant.

ACTE VI

Des pièces de roulement sous le train se sont désintégrées des essieux

L’Afrique en miniature vient donc d’être frappée. Le Cameroun est désormais en deuil. L’onde de choc partie à un pas de la tombe de Ruben Um Nyobe à Eséka, parcourt le pays au fur et à mesure que le bilan s’alourdit. Les larmes coulent comme fourmillent les interrogations dans les esprits. Mais ayant pu regagner Douala autour de 19 heures le même vendredi, par une voiture de transport empruntée depuis Eséka, je me permets désormais de mettre en exergue quelques constats : l’accueil et la gestion du flux humain à la gare ferroviaire de Yaoundé a manqué de maîtrise, de professionnalisme et d’humanité ; les tickets de 3000 francs étant épuisés, des demandeurs ont été embarqués sans être enregistrés et l’accident est survenu alors que des agents vendaient des tickets à bord du train ; Camrail fait des ventes de tickets manuels en gare alors que son système est informatisé ; sept ou huit voitures ont été arrimées au train venu de Douala aux environs de 10 heures pour augmenter sa capacité de transport de personnes ; ce train 152 a quitté Yaoundé laissant derrière lui un autre train voyageur qui n’embarquait personne, n’attendant semble-t-il que le voyage pour Ngaoundéré en soirée ; des compartiments surchargés du train (voire la photo ci-dessus) se sont détachés avant ceux qui ont échoué en plein gare à Eséka ; la locomotive de ce train 152 s’est « immobilisée » plus loin avec des voitures (cinq , semble-t-il) sans dérailler (pourquoi ?) ; il est rapporté que des messages électroniques ont circulé quelques heures plus tôt indiquant qu’un train voyageur avait déraillé dans cette zone où effectivement, l’Inter City 152 a finalement déraillé ; je n’ai pas vu à la gare d’Eséka une ambulance ou un sapeur pompier quand j’ai pu sortir de ce qui reste du train autour de 13 heures ; Il y a eu non seulement défaillance des systèmes de freinage, mais aussi décollage des roues de la bande roulante, détachements des roues des essieux et des amortisseurs de certains des 11 compartiments déraillés (voir image ci-dessus) sur l’ensemble des 16 wagons que comptait le train. Au total, le train Inter City 152 du vendredi 21 octobre 2016, parti de Yaoundé à 11 h 06 mn, n’est jamais arrivé à destination, à Douala ! Il s’est définitivement engouffré dans l’histoire à Eséka, la terre où repose Um Nyobe, désormais la terre des martyrs du train de la mort !

 Henri Fotso

Photo 1: Une des scenes du desastre.

Photo 2: Le train était surchargé et des passagers étaient non enregistrés

Photo 3: Des pièces de roulement sous le train se sont désintégrées des essieux

Photo 4: Cette photo est faite peu avant la fermeture des portières

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