''Le prix pour maintenir Paul Biya au pouvoir est plus élevé que le prix pour le chasser''

Dans une interview spéciale accordée au journaliste Guillaume Erner et diffusée ce matin dans l'émission La Question du Jour de France Culture, la station de radio culturelle nationale publique française du groupe Radio France, Patrice Nganang égale à lui-même, appelle le Président Macron a demandé au Président Biya de quitter le pouvoir. La rédaction a fait une transcription* de l'échange.
 

 

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France Culture : Depuis plus d’un an maintenant, le Cameroun traverse une crise sociale et politique qui divise les parties anglophones et francophones du pays. Les anglophones représentent 20% de la population. Ils s’estiment marginalisés. A tel point que des séparatistes anglophones ont symboliquement auto proclamé la création d’une République indépendante, entraînant une violente répression du pouvoir central. Bonjour Patrice Nganang, vous êtes écrivain camerounais, professeur de littérature comparée à Princeton aux EU, publiera fin août 2018, « Empreinte de crabe » chez Jean-Claude Lattès. Aujourd'hui quelle est la situation selon vous du Cameroun?
 
Patrice Nganang : La situation du Cameroun est celle d'un pays qui est au bord de la guerre véritablement. C'est à dire que le pouvoir qui a été totalement le plus francophile, le plus francophone se retrouve dans un scénario qui aurait pour modèle français, Waterloo. Le Waterloo de Paul Biya, Paul Biya étant le Président actuel du Cameroun qui n'a pas été élu et qui depuis 35 ans occupe ce poste. Et qui en 35 ans a fabriqué plus ou moins le problème anglophone d'aujourd'hui. Avant lui, il y avait déjà les anglophones qui sont 30% de la population camerounaise mais qui vivait dans une certaine invisibilité générale. Le Cameroun étant présenté comme un pays francophone alors que c'est un pays qui a cette division linguistique exacerbée par une politique de marginalisation qui a été mise en branle depuis 1983 d'où la révolte que l'on observe depuis ces derniers mois ou ces dernières années.
 
France Culture: Vous avez été arrêté vous même, Patrice Nganang, vous avez fait de la prison en décembre au Cameroun. Pourquoi?
 
Patrice Nganang: Eh bien, parce que j'ai eu l'intelligence ou bêtise de faire le tours des régions anglophones pour écouter les anglophones, pour vivre avec eux, pour comprendre quelle est leur condition et pour témoigner de ce qui s'y passe. Parce qu'il faut savoir que la région anglophone du pays n'est pas seulement coupée du reste du monde: internet y est coupé, les frontières avec le Nigéria sont fermées et c'est une région qui n'a pas de routes. Il y a des villes qui auraient pu être extrêmement riches mais qui n'ont pas de routes, n'a pas d’électricité puis n'a pas d'eau. Donc c'est une région vraiment coupée du monde. J'y suis allé, évidemment avec le couvre-feu qui est appliqué jusqu'à 10 H du soir. Donc, je suis allé j'ai vu, j'ai vécu avec eux, j'ai écrit un article pour Jeune Afrique. Donc c'est grossomodo c'est à cause de cet article que j'ai été arrête puis que c'est exclusivement autour de cet article que j'ai été interrogé.
 
France culture : Donc on voit qu'il y a une situation d'extrêmes tensions, Vous expliquez cette situation d'inégalités entre les anglophones et les francophones et à cela se surajouter la question du terrorisme avec Boko Haram.
 
Patrice Nganang : Le terrorisme c'est au Nord, c'est pourquoi je reviens sur le modèle de Waterloo, l'armée camerounaise est déjà prise dans la bataille contre le terrorisme et la voilà maintenant qui est occupé à tuer les Camerounais dans les zones anglophones. En effet c'est de cela qu'il s'agit. Nous avons dans les prisons camerounais où j'y étais moi-même, des centaines d'anglophones qui sont incarcérés parce qu'ils sont anglophones. Il n'y a pas d'autres raisons. Et, sur la tête de qui, sont mis des charges de terrorisme,...de mise en danger de l’état. Et puis, nous avons des centaines de morts, c'est à dire septembre-octobre, il y a eu des massacres véritables à travers la zone anglophone.
 
France culture : Des idées reçus, peut-être vous allez la critiquer Patrice Nganang, l'une des idées reçus consiste à dire que le Cameroun est l'Afrique en miniature, c'est un pays de 30 millions d'habitants qui a, en quelque chose récapitulerait toute la diversité africaine.Vous croyez qu'il est possible pour se pays de n'en faire qu'un ou bien le séparatisme anglophone et francophone ou bien le séparatisme est en quelque sorte la seule solution?
 
Patrice Nganang :Disons que le mot ''séparatisme'' est une interprétation du pouvoir parce que moi j'ai été dans la zone anglophone et tout comme pour le mot ''terroriste'', c'est à dire les anglophones eux-mêmes, les cherchent ces séparatistes et terroristes. Il faut déjà savoir que les anglophones sont d'habitude bilingues et que beaucoup de francophones envoient leurs enfants dans les écoles anglophones. Ce qui fait que les camerounais dans leur propre développement social et sociologique est uni, est bilingue, alors que le pouvoir lui est francophone. Par exemple, Paul BIYA depuis 35 ans qu'il est au pouvoir, n'a jamais tenu un discours en anglais. Donc au point de vue de interprétation et puis de l'analyse, on dirait que c'est le président est vieux. Il a aujourd'hui 84 ans.
 
France culture : Il a aujourd'hui 84 ans, Est ce que son départ pourrait être la solution ou est-ce qu'il a déjà préparé sa succession dans un régime si autoritaire?
 
Patrice Nganang : En réalité, Paul Biya n'a pas préparé sa succession parce que les élections, il ne les a jamais gagnées mais, son départ est la condition sine qua none pour la résolution de cette guerre qu'il est entrain de mener contre les populations camerounaises
 
France culture : Et dans ces conditions, quelle solution, voyez vous aujourd'hui pour votre pays?
 
Patrice Nganang : J'ai toujours dit que ceux qui ont le courage, c'est à dire les populations manquent les armes pour se libérer et ceux qui ont les armes c'est à dire les militaires, n'ont pas le courage. Ça fait qu'on se retrouve dans une impasse avec ses militaires qui se retournent plutôt contre les populations qui, elles ne demandent tout simplement qu'à vivre ensemble. Et donc si la France, si par exemple, le Président Macron avait le force lui dire à Paul Biya de dégager!, Il répondrait à la volonté générale des camerounais qui ne veulent plus de lui.
 
France culture : Est ce une question force ou d’intérêt, puisque l'on l'a déjà vu plusieurs fois en Afrique que la question de l'Afrique francophone et de l'Afrique anglophone pouvait représenter des intérêts diverses. C'est ce qui s'est passé notamment au Rwanda dans une situation différente. Est ce que aujourd'hui la Françafrique ou ce qu'il en reste n'a pas encore beaucoup d'intérêts au Cameroun?
 
Patrice Nganang : Il n'y aucun intérêt à voir le Cameroun sombrer dans la guerre. Je crois! Parce que la guerre ce sont les pertes en vie humaine, ce sont des pertes matérielles,..C'est ce qui se passe maintenant. Il n'y aucun intérêt à voir 30% de la population de la république du Cameroun,vivre dans une situation de villes mortes permanentes. Et donc là bas ce sont des pertes financières extraordinaires. Je crois que, quiconque fait les mathématiques se rendraient compte que le prix pour maintenir Paul Biya au pouvoir est plus élevé que le prix à payer pour le chasser.''
 
Transcription de Castro.
 
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